RadioVino
La radio du bon glou

Immerpif !

Julien Gangand s’est immergé dans les vignobles, curieux de mettre les mains dans la terre, manier le sécateur, fouler, monter un pressoir, suivre les vinifs… nous suivons ses aventures au fil de ses billets sous forme de journal (presque) intime.
Une série conçue et enregistrée par Julien Gangand.

Immerpif, ép. 5 : Faut qu’ça roule !

Julien est toujours chez Jacques Février à Oudon. Il s’attaque à un travail de la vigne peu connu : il va devoir rouler les baguettes !


Texte, son : Julien Gangand.
Montage : Laurent Le Coustumer.
Musique : Green-House, Soft Meadow. Puis une petite impro de Jeannot à la guitare !

Faut qu’ça roule ! Cela fait maintenant presque un mois que j’ai quitté Lyon. C’est si long, c’est si court ! C’était avant le confinement, cette période où on pouvait encore envisager des choses, rencontrer, embrasser, trinquer… Lamartine par sa poésie nous proposait une ode au temps presque d’actualité dans son poème le Lac « Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! » il y a un peu de cela en ce moment, oui, le temps semble suspendu, figé… puis non en fait on se pose et on voit qu’il file, qu’il fuit. Je suis toujours chez Jacques Février à Oudon et la vigne nous rappelle quotidiennement que le temps avance, vite souvent, trop vite parfois, mais ne nous attend pas. Et quand le temps calendaire se confronte au temps météo, il y a une chance sur une qu’on soit à la bourre. Un soir Jacques me dit : « Demain on roule les melons » ! Temps d’arrêt dans ma tête. Jargon ! J’apprends. Le rapprochement se fait toutefois assez simplement : Melon, c’est le melon B, melon de bourgogne, cépage blanc du muscadet, ça, je vois. Mais rouler ? Ah oui, rouler, c’est plier les bois ! Petit rappel : quand la vigne est taillée en technique guyot-poussard et que l’on a retiré les bois, en gros tout ce qui a été utile une année mais dont on déleste la vigne pour l’année suivante, il reste selon ce type de taille, ce que l’on appelle une baguette. Jacques taille son muscadet, son gamay, son sauvignon mais aussi son pinot gris avec cette technique. L’idée de rouler est donc de dompter cette baguette, ce long et seul bois qui part du cep, en le faisant courir sur le fil de palissage. La baguette comporte les bourgeons et chaque bourgeon est invité à faire une grappe. Les aléas climatiques étant ce qu’ils sont, quand on roule, on est invité à dorloter ces bourgeons qui sont déjà bien en avance. Honnêtement, ce n’est pas l’activité la plus stimulante et pourtant je me prends à l’utiliser en sas introspectif. C’est une activité très répétitive. Mais il y a comme un truc, sensuel et poétique. La main accompagne le bois, le courbe, le cambre pour qu’il s’enroule autour du fil. Il faut envisager la résistance, la flexibilité et donc ne pas casser. Les mains caressent le bois, effleurent les bourgeons, les doigts dansent sur les fils. Alors on se prend à voir la parcelle comme une partition, ou le fil comme une corde de guitare. C’est pourquoi j’ai demandé à Jeannot de nous faire la musique ! Jeannot c’est un copain lyonnais rencontré il y a quelque temps au Troquet des Sens, chez Mat et Flo — Le Troquet c’est un traquenard à pinard dans le quartier d’Ainay à Lyon. Et Jean, j’ai le souvenir d’il y a quasi un an, à la guitare, pendant un bœuf avec des vignerons à la Bojaliene, un salon en Beaujolais. Rouler les bois, c’est aussi redécouvrir son dos car on est à peu près toujours courbé, le dos à l’équerre. Alors me vient ici un deuxième clin d’œil lyonnais. Une fois par jour, méditation et reliance grâce à la vidéo de Pascal, copain du Chababa, un autre rade lyonnais, d’habitués. Son truc, à Pascal, c’est la Gestalt Térapy, et j’aime bien car sa vidéo commence par : « posez bien vos pieds au sol », et après on part vingt minutes. Rien de tel que d’avoir les pieds ancrés pour laisser son esprit divaguer, rien de tel que l’avoir un cep dans les mains, des bois, des bourgeons entre les doigts pour laisser son esprit rêver. Le temps est propice, le soleil est là, le temps est sec, le temps est suspendu, le temps file !


Julien Gangand